- Détails
- Catégorie : Monnaies du Moyen-Age
Les monnaies féodales ne sont pas les plus faciles à collectionner. Les pièces de monnaie féodales n'offrent évidemment pas la régularité industrielle des émissions monétaires contemporaines.
En ce qui concerne les monnaies féodales, il n'y pas de régularité, pas de tirages, pas de millésimes (avant le XVIème siècle); les monnaies féodales portent souvent, jusqu'au XIIIème siècle, des formes dégénérées des types Carolingiens dont elles sont issues : l'amateur d'art n'y trouvera pas la beauté classique des monnaies grecques antiques ou la rigueur figurative des plus beaux sesterces romains du Ier ou du IIème siècle après JC.
Photos de monnaies féodales
Ces images tirées d'eBay montrent que tous les collectionneurs ne sont pas d'accord ou ne tiennent pas compte de la définition des monnaies féodales (qui ne devraient pas contenir de monnaies carolingiennes ou de monnaies royales).
Mots les plus utilisés par rapport aux monnaies féodales
Au lieu de cela, le collectionneur tenté par les monnaies féodales rencontrera la plupart du temps des monnaies très fines, légères, souvent frappées à l'économie dans un métal de billon plus que médiocre... Ces monnaies portent généralement des figures géométriques d'apparence abstraite, ou des croix, symbole chrétien qui semble répété à l'infini. En ce qui concerne les légendes des monnaies féodales, bien qu'elles soient écrites avec l'alphabet latin, le néophyte risque fort de les trouver vraiment indéchiffrables... Il faut faire un peu de paléographie pour comprendre pleinement le sens des monnaies féodales.
Les monnaies féodales : un thème de collection exigeant
Le sens des monnaies féodales se dérobe donc au collectionneur non initié. Car outre cet aspect souvent très modeste des monnaies féodales, joint aux difficultés d'approche stylistiques et symboliques, le collectionneur ne peut pleinement comprendre ces monnaies que s'il connaît l'histoire. Alors, et alors seulement, comme le dit Faustin Poey d'Avant dans la préface de ses "Monnaies féodales de France", le collectionneur peut saisir la portée de ces monnaies :
"Parmi les diverses branches de la numismatique du moyen âge, la série féodale française est sans contredit l'une de celles dont l'étude est la plus attrayante. Si l'on y est peu favorisé du côté de l'art, si la fabrique de ces monnaies offense souvent le goût, si l'on y trouve beaucoup plus rarement qu'ailleurs de ces bijoux dont le style plaît autant à l'artiste qu'à l'antiquaire, combien n'en est-on pas dédommagé par les souvenirs qu'elles rappellent ! En jetant les yeux sur un médaillier uniquement garni de pièces de cette période, on croit voir défiler devant soi l'altière cohorte de ces hauts et puissants barons, qui ont rempli la chrétienté, les uns du bruit de leurs hauts faits et de leur gloire, les autres de celui de leurs crimes et de leurs rapines. Combien de poétiques et terribles légendes des frêles morceaux de métal rappellent à l'esprit !"
Collectionner les monnaies féodales demande donc un effort assez important de documentation. Heureusement le numismate tenté par ce thème de collection dispose de nombreux ouvrages remarquables que l'on peut se procurer facilement (et souvent gratuitement). Mais avant de donner une liste des ressources les plus utiles, il faut préciser la définition de ce que sont les "monnaies féodales"
Définition des monnaies féodales
Les monnaies féodales ne doivent pas être confondues avec les monnaies médiévales ou les monnaies du moyen âge en général. Les monnaies féodales sont souvent désignées sous le terme de monnaies provinciales. La définition des monnaies féodales par A. Dieudonné dans son "Manuel de numismatique" (1936) est la suivante : les monnaies féodales sont des pièces issues du démembrement de l'Empire Carolingien (à partir du IXème siècle après JC), dont :
- La légende ou la forme du monogramme ne se modifie décidément plus avec la personne du souverain, si même elle n'évoque l'idée d'un prince depuis longtemps disparu;
- Les dégénérescences de type, de légende et de poids attestent que la monnaie a échappé à tout contrôle organisé;
- Le nom ou le monogramme royal a été remplacé par un nom ou un monogramme seigneurial ou par l'anonymat absolu.
Blanchet précise ceci : "Une seule de ces conditions suffira d'ordinaire pour faire rentrer la monnaie dans notre cadre". D'après lui d'ailleurs, Poey d'Avant a étendu exagérément le domaine féodal aux dépends des Carolingiens, tandis qu'un auteur tel que Gariel a eu le penchant inverse. Quoi qu'il en soit, on peut dire que les monnaies féodales sont des monnaies privées nées de l'effondrement de l'Empire Carolingien. Ces monnaies ont disparu quand un nouvel état, l'Etat Royal a récupéré ses prérogatives de monnayeur souverain. Les monnaies féodales ont été considérablement amoindries à partir du XIIIème siècle en France. Elles survivent très tardivement cependant dans de nombreuses principautés d'Allemagne ou d'Italie par exemple.
Bibliographie, livres à télécharger gratuitement ou à acheter
Nous présentons ci-dessous une liste des ressources les plus utiles pour collectionner les monnaies féodales. Dans le domaine des livres d'histoire, on lira avec profit le "Traité de numismatique du moyen âge" d'Arthur Engel et Raymond Serrure, paru en 1891-1905. Il est possible de télécharger gratuitement ces volumes numérisés par Google en cliquant sur les liens ci-dessous (format pdf - veuillez patienter quelques instants pendant le téléchargement, qui peut durer quelques minutes) :
Engel et Serrure, Traité de numismatique du moyen âge
- Traité de numismatique du moyen âge volume 1
- Traité de numismatique du moyen âge volume 2
- Traité de numismatique du moyen âge volume 3
Le volume 2 du Manuel de numismatique française de Blanchet et Dieudonné présente les monnaies royales françaises depuis Hugues Capet, et permet également de donner un peu de profondeur historique à la collection de monnaies féodales (on verra en particulier que les monnaies royales françaises des origines sont très proches des monnaies féodales : aux origines de la monarchie, le Roi de France était presque un baron comme les autres). En ce qui concerne le quatrième volume de ce manuel, il est entièrement consacré aux monnaies féodales (la numérisation du volume 4 a été réalisée sur le site Gallica, de la Bibliothèque Nationale de France).
A. Dieudonné et A. Blanchet, Manuel de numismatique française, volumes 2 et 4
- Manuel de numismatique française. Tome 2 : Monnaies royales françaises depuis Hugues Capet jusqu'à la Révolution (paru en 1916)
- Manuel de numismatique française. Tome 4 : Monnaies féodales françaises (par A. Dieudonné 1936)
Les catalogues de monnaies féodales
Le collectionneur a besoin de catalogues pour identifier et classer les monnaies. Parmi ces catalogues figure le tome 4 présenté ci-dessus. Ce catalogue est dérivé de l'oeuvre de Faustin Poey d'Avant, Monnaies féodales de France (1858-1862). La page suivante présente une carte des lieux où ont été frappées des monnaies féodales et une liste des Provinces citées par Poey d'Avant : Carte monnaies féodales. Ces volumes qui ont fait l'objet de rééditions que nous évoquerons ci-dessous, ont été numérisés par Google et sont téléchargeables gratuitement en cliquant sur les liens ci-dessous :
- Monnaies féodales de France (Faustin Poey d'Avant, volume 1)
- Monnaies féodales de France (Faustin Poey d'Avant, volume 2)
- Monnaies féodales de France (Faustin Poey d'Avant, volume 3)
Ces ouvrages toujours utiles ont été complétés par E. Caron dans son supplément sur les monnaies féodales paru en 1882 :
- Monnaies féodales françaises (supplément de E. Caron aux "Monnaies féodales" de Poey d'Avant)
Il n'est pas inutile pour finir de citer deux ouvrages qui complètent les livres présentés plus haut. Il y a d'abord le "Catalogue général illustré de monnaies provinciales" de Boudeau, qui n'est pas disponible en téléchargement gratuit, mais qui a fait l'objet d'une réédition bien réalisée par les Editions les Chevau-légers, à qui l'on doit également une bonne réédition des catalogues de monnaies féodales de Poey d'Avant et du supplément de Caron. Cette même maison, décidément la plus active dans le domaine des monnaies féodales, a également édité un ouvrage baptisé "Monnaies féodales", qui reprend une vente de monnaies féodales qui a eu lieu en 2005.
Il est possible d'acheter ces livres sur Amazon.com en cliquant sur les liens ci-dessous :
Acheter des livres pour collectionner les monnaies féodales
Acheter des livres sur les monnaies féodales
Par quel livre commencer ?
Parmi les 4 livres présentés ci-dessus le Boudeau II est certainement le plus utile au collectionneur débutant. Il s'agit en fait d'un catalogue de vente paru initialement en 1913 et illustré au dessin comme c'était le cas à l'époque. A la différence du Poey d'Avant ou du Caron, les monnaies présentées sont accompagnées d'un prix en franc or, qui n'est plus valable mais qui donne un intéressant indice de rareté. C'est ce dont a besoin le collectionneur. Ce livre est peu cher et, à notre connaissance, n'est pas téléchargeable gratuitement. C'est donc par là qu'il faut commencer.
Le livre "Les monnaies féodales" d'Arnaud Clairand est également un catalogue de vente. contrairement à son prédécesseur, ce catalogue est entièrement illustré avec des photos en couleur. Les descriptions des monnaies sont très détaillées et très précises. Les monnaies ont été vendues et peuvent donner une idée des prix.
En ce qui concerne le Poey d'Avant et le Caron, il est utile d'en posséder des copies papier car la consultation des livres au format pdf est souvent fastidieuse et ces rééditions, bien que chères, ont fait l'objet d'un travail éditorial assez soigné.
A propos du prix et de la rareté des monnaies féodales
Les monnaies féodales étant souvent méconnues il est possible de trouver des raretés à des prix tout à fait raisonnables.
Sélection de monnaies féodales actuellement en vente sur eBay
Les monnaies féodales présentées ci-dessous sont triées par ordre d'intérêt des collectionneurs. La liste contient les 100 monnaies féodales les plus suivies par les collectionneurs sur eBay. Ces pièces sont immédiatement disponibles en vente aux enchères. Comme tous les collectionneurs ne partagent pas la même définition de ce que sont les monnaies féodales, il se peut que cette liste contienne des monnaies carolingiennes ou royales.
Autres pages sur les monnaies du Moyen Age
Les monnaies d'or du Moyen Age
Autres pages sur la collection de pièces de monnaie
Collectionner les pièces de monnaie : un guide pour les débutants
- Détails
- Catégorie : Monnaies du Moyen-Age
Le 5 décembre 1360 : la naissance du franc
C'est sous le règne du roi de France Jean le Bon, qui a régné entre 1350 et 1364, que le Franc a été créé. Cette nouvelle monnaie, appelée à prendre une place exceptionnelle dans l'histoire de France, a vu le jour dans des circonstances particulièrement troublées dont voici le détail.
Vidéo : histoire de la Naissance du Franc, le 5 décembre 1360
Photo d'une pièce Franc à Cheval de Jean Le Bon
Photo d'une pièce d'or Franc à Cheval de Jean Le Bon. Photo numiscorner.
Acheter le livre "La Naissance du Franc"
Le 5 décembre 1360 : la naissance du Franc [Format Kindle]
Sommaire
- Le franc est né pendant une des périodes les plus dramatiques de l'histoire de France
- Les Valois sont aventureux, chevaleresques et sans programme politique
- En 1340 Edouard III anéantit la flotte française et prend un sérieux avantage stratégique
- La guerre permanente
- La guerre la famine et la peste plongent le pays dans une profonde misère
- En 1360, la France n'est plus que l'ombre d'elle-même
- Impôts et monnaies avant la création du Franc : désordre et instabilité
- La création du Franc
- Le Franc marque le retour à la stabilité monétaire
- Bibliographie
- La valeur des Francs à cheval de Jean le Bon
- Autres pages sur le Franc et les monnaies royales françaises
1. Avers d'un Franc d'Or de Jean le Bon. Cliché BNF.
Le franc est né pendant une des périodes les plus dramatiques de l'histoire de France
Le Franc n'est pas né au cours d'une époque de richesse et de prospérité, mais pendant une des périodes les plus dramatiques de l'histoire de France, la Guerre de Cent Ans. A partir de 1328 les désastres politiques, militaires, économiques et sociaux accablent la France, plongeant le pays dans un profond désespoir.
La Guerre de Cent Ans débute par un problème dynastique. En 1328, Charles IV, qui est le dernier fils du roi Philippe le Bel (roi de 1284 à 1314) meurt sans laisser d'héritier. Cette date marque la fin de la descendance mâle directe de la dynastie des Capétiens qui régnait sur la France depuis plus de trois siècles. Cependant Isabelle, la fille de Philippe le Bel, a épousé le roi d'Angleterre à qui elle a donné un fil, Edouard III. Naturellement celui-ci considère qu'il est l'héritier légitime du trône de France. Mais c'est sans compter avec la Noblesse française qui refuse une telle éventualité. Les grands seigneurs de France réunis à Paris déclarent ceci : "Femme, ni par conséquent son fils, ne peut succéder au Royaume de France". Edouard III étant ainsi écarté du trône, les grands seigneurs féodaux résolvent la vacance du pouvoir en désignant l'un d'eux : Philippe de Valois. La légitimité de ce seigneur à l'esprit chevaleresque n'est pas plus forte que celle d'Edouard III. Les Flamands, par exemple, ne sont pas dupes et qualifient ainsi Philippe de Valois : "roy trouvé, c'est-à-dire roy de rencontre". Quoiqu'il en soit, Philippe de Valois est le premier de la nouvelle dynastie royale française, tandis que le roi d'Angleterre ne peut renoncer sans réagir au Royaume de France. Le contentieux est né, il est à l'origine d'une guerre qui ne s'achèvera qu'un siècle plus tard (1453) par la victoire définitive de la dynastie des Valois.
Les Valois sont aventureux, chevaleresques et sans programme politique
La dynastie des Valois a eu beaucoup de mal à s'imposer car ses représentants étaient de grands seigneurs féodaux habités d'un idéal chevaleresque aventureux qui contraste singulièrement avec le réalisme dont ont souvent fait preuve les Capétiens. Un seul exemple suffit pour comprendre la nature de l'idéologie qui anime les premiers Valois. En 1351 Jean Le Bon créée un nouvel ordre de Chevalerie baptisé "l'Ordre de l'Etoile". L'Ordre, installé à Saint-Ouen, rassemble les "500 plus suffisants chevaliers du Royaume"; tous les ans, ceux-ci se réunissent pour raconter leurs exploits, les plus honteux comme les plus honorables. Leur modèle, ce sont le Roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde. Le problème c'est que les membres de l'Ordre de l'Etoile prêtaient serment et qu'il s'engageaient en particulier à respecter une clause militaire absurde : "Et leur convenait jurer que jamais ils ne fuiraient en bataille plus haut que quatre arpents de leur advis, ainsi mourraient ou se rendraient pris". La chevalerie française a malheureusement mis en pratique cette disposition qui limitait singulièrement ses possibilités tactiques pendant les batailles.
En 1340 Edouard III anéantit la flotte française et prend un sérieux avantage stratégique
La France connaît à partir de 1340 une série de désastres militaires ininterrompus. C'est la bataille navale dite "de l'Ecluse", le 24 juin 1340, qui ouvre cette série de sévères défaites. Ce jour là, devant l'estuaire du Zwin qui mène à Bruges, la flotte d'Edouard III anéantit la flotte française. Les chefs français commettent des erreurs tactiques et seuls trente navires sur 200 parviennent à échapper au désastre. Le Parlement Anglais, conscient de l'importance de cette victoire qui marque le début de la domination maritime anglaise, salue Edouard III du titre de "Roi de la Mer". C'est à l'occasion de cette bataille navale qu'Edouard III fait frapper une nouvelle monnaie, le "Noble" dont la symbolique est particulièrement explicite : le Roi est représenté l'épée en main debout sur un navire voguant pavillon déployé. La légende "Henri, par la Grâce de Dieu Roi de France et d'Angleterre, seigneur d'Irlande et d'Aquitaine" rappelle très clairement les prétentions dynastiques d'Edouard III.
Cette défaite marque le début d'un avantage stratégique majeur du Roi d'Angleterre : désormais il peut envahir le territoire français sans craindre un débarquement en Angleterre. C'est sur le sol français que la Guerre de Cent Ans va se dérouler.
Enluminure de la bataille de Crécy, en 1346
Quelques années après, en 1346, la France subit l'écrasante défaite de Crécy : la chevalerie française, fougueuse et courageuse mais irréaliste et indisciplinée, se fait tailler en pièce par les archers anglais. En 1356, nouvelle bataille, nouveau désastre. Cette fois-ci c'est Jean Le Bon, fils de Philippe de Valois, qui est battu à Maupertuis, non loin de Poitiers. Ses compagnons appliquent les principes pour lesquels ils ont prêté serment dans le cadre de l'Ordre de l'étoile : ils ne reculent pas, et se font tuer sur place ou capturer. L'armée française est taillée en pièce et le Roi lui même est fait prisonnier et conduit à Londres. Sa captivité durera 4 ans. La France, qui n'a plus d'armée, est aux mains du Dauphin, le futur Charles V, qui n'est alors âgé que de 18 ans. Face à l'idéalisme chevaleresque français, les Anglais imposent un réalisme ravageur et prennent l'ascendant au début de la Guerre de Cent Ans.
Photo d'un Noble d'or d'Edouard III
La guerre permanente
Les Anglais utilisent aussi la méthode des grandes chevauchées à travers le territoire français, au cours desquelles ils pillent, ravagent, détruisent et affaiblissent durablement l'ennemi. Le cas le plus célèbre est probablement la grande chevauchée du Prince Noir, qui est le fils aîné du Roi d'Angleterre, dans le midi de la France en 1355. Cette grande chevauchée le conduit de la Guyenne à la Méditerranée et lui permet de ramener à Bordeaux un butin considérable. Lors de son retour dans cette ville, il lance la fabrication de Léopards d'Or et de Gros d'argent, qui, comme les Nobles d'Edouard III, sont des émissions économiques et politiques : le léopard était bien connu comme un symbole Anglais et le Prince Noir mettait ainsi la marque de son pays sur l'Aquitaine.
Photo d'un Léopard d'or
Léopard d'or
Mais les chevauchées et les batailles rangées ne sont pas tout. Entre deux batailles entre les armées royales, les soldats se regroupent en bandes et saccagent des régions entières. Ces groupes de soldats incontrôlables portent le nom de "Grandes Compagnies" ou de "routiers", car ils parcourent le pays en quête de butin. A leur sujet, le chroniqueur Froissart rapporte ceci : "Il dévalait des gens de tous côtés au point que tout le pays en était mangé et perdu; au plat pays tout demeurait à l'abandon, à moins de payer rançon. Les pauvres laboureurs qui avaient recueilli leurs grains n'en avaient plus que la paille, et, s'ils en parlaient, ils étaient battus ou tués; les viviers étaient pêchés, les maisons abattues pour faire du feu. Les Anglais s'ils fussent arrivés en France, n'auraient pu faire plus grand ravage que les routiers des Français qui disaient : "Nous n'avons point d'argent maintenant, mais nous en aurons assez au retour; alors nous vous paierons tout au comptant". Les pauvres gens les maudissaient, qui les voyaient emporter leur bien et ils n'osaient sonner mot, mais chantaient une note entre leurs dents tout bas : "Allez-vous en, orde (ordures) crapaudaille, que jamais ne puissiez revenir !" (voir Froissart, Chroniques, éd. L. Mirot, tome XIII, p.77-78).
La guerre la famine et la peste plongent le pays dans une profonde misère
On se doute que de telles conditions d'insécurité généralisée ont des conséquences économiques et sociales désastreuses : le commerce est de plus en plus difficile, la production agricole connaît une diminution massive; la misère généralisée et des famines s'installent. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, une sévère épidémie de Peste Noire apparaît en 1347-1348; Froissart prétend qu'à cause de cette épidémie foudroyante "la tierce partie du monde mourut", mais ce chiffre est encore en dessous de la réalité : parfois c'est la moitié de la population qui périt. A Avignon par exemple, après le passage de la Peste en 1348, 7000 maisons sont vides, 11000 corps ont été inhumés dans un nouveau cimetière acheté spécialement par le pape à cet effet; il n'y a plus assez de cercueils pour enterrer les morts (cf. lettre du chanoine Louis de Boeringen écrite à Avignon en 1348).
Les trois fléaux, la guerre, la famine et la peste, qui s'abattent sur des populations déjà affaiblies s'enchaînent dans un cercle vicieux qui place la France dans un abîme complet.
En 1360, la France n'est plus que l'ombre d'elle-même
En 1360, lors de la signature du Traité de Brétigny avec l'Angleterre, la France n'est plus que l'ombre d'elle-même : elle a perdu la Guyenne, la Gascogne, la Saintonge, le Rouergue, l'Angoumois, le Poitou, le Limousin, l'Agenais, le Ponthieu, Montreuil, Calais et Boulogne.
Le roi Jean II le Bon n'ignore pas la situation. Dans l'ordonnance qui donne naissance au Franc, il dit ceci :
"Si nous avons considéré l'état de notre Royaume pour le temps passé, présent et à venir, entre autres maux, nous avons trouvé que en nostre Royaume il y a eu plusieurs divisions et rébellions, vols, pillages, incendies, larcins, occupations de biens, violences, oppressions extorsions, exactions et plusieurs autres cruels maléfices et excès."
C'est donc dans un contexte particulièrement troublé au niveau politique, militaire, économique, social et même moral que le Franc a été créé.
Portrait de Jean le Bon (roi de France de 1350 à 1364)
4. Portrait de Jean le Bon (roi de France de 1350 à 1364). Le roi avait un idéal chevaleresque qui lui a coûté cher sur un plan militaire et personnel : après la bataille de Maupertuis, il est resté prisonnier du roi d'Angleterre pendant quatre ans et n'a dû sa libération qu'au versement d'une énorme rançon en or.
Impôts et monnaies avant la création du Franc : désordre et instabilité
Sur un plan fiscal et monétaire, la première moitié du XIVème siècle a été particulièrement instable. En effet, les rois de France, à commencer par Philippe le Bel (roi de 1285 à 1314) ont très fréquemment utilisé leurs pouvoirs régaliens sur la monnaie pour en tirer profit. Ces profits sur les monnaies pouvaient avoir lieu de trois manières différentes. Le roi pouvait modifier la valeur des monnaies par une ordonnance : les pièces, en effet, ne portaient pas de valeur faciale. On pouvait donc décréter qu'un sou valait quinze deniers et non plus seulement douze... De telles modifications, on s'en doute, provoquaient de forts mécontentements dans la population. Le roi pouvait aussi décider de modifier le titre du métal fin employé pour frapper la monnaie : moins de métal mais même valeur officielle... Il pouvait enfin modifier le poids des monnaies, sans changer leur valeur en monnaie de compte. Enfin, il était possible d'effectuer en même temps chacune de ces modifications, ce qui multipliait d'autant les bénéfices de la Monnaie Royale.
Ces "remuements" monétaires étaient très lucratifs pour le Trésor Royal, mais provoquaient de fortes perturbations économiques et commerciales en plus d'entraîner un doute sur l'honnêteté des rois qui furent parfois qualifiés de faux monnayeurs à cause de leurs incessantes manipulations des monnaies. Pour bien mesurer l'ampleur de l'instabilité monétaire qui règne au XIVème siècle, on peut rappeler qu'entre 1337 et 1360 la monnaie a connu pas moins de 85 mutations, soit plus de trois par an ! On comprend qu'en 1360, le peuple français aspirait à plus de stabilité monétaire.
Le vrai problème des rois de France à cette époque, c'est qu'ils ont les plus grandes difficultés à trouver des ressources pour financer durablement leurs besoins liés aux guerres mais aussi les dépenses courantes. Et c'est là que se situe le coeur du problème : la couronne ne possède pas un système fiscal efficace. La création du franc va modifier la situation.
La création du Franc
Photo de la Tour de Londres où de France Jean II a été prisonnier pendant 4 ans
6. C'est dans la Tour de Londres que le roi de France Jean le Bon a passé 4 ans après sa défaite à contre Edouard III.
Le traité de Brétigny a été signé le 8 mai 1360 entre Edouard III d'Angleterre et Jean le Bon. Il permet une trêve de neuf ans dans la guerre de Cent Ans et met fin aux quatre ans de captivité à Londres de Jean Le Bon. Le Roi de France est libéré contre une rançon considérable : il doit verser 3 millions d'écus d'or, ce qui représente pas moins de 12,5 tonnes d'or ! Edouard III ne libère son précieux otage qu'après que les premiers chariot d'or aient bien été déposés dans le monastère de Saint-Omer, qui se trouvait alors sous domination anglaise. Jean le Bon est de retour à Calais le 25 octobre; paradoxalement, il fait une entrée triomphale à Paris le 13 décembre; c'est entre ces deux dates, le 5 décembre, que l'ordonnance stipulant la création du Franc est adoptée à Compiègne. L'Ordonnance royale précise ceci : "Nous avons ordonné que le Denier d'Or fin que nous faisons faire à présent et entendons à faire continuer sera appelé Franc d'Or". La nouvelle monnaie présente à l'avers le roi armé sur un cheval au galop; il est équipé d'un heaume surmonté d'un grand lys (celui de la légende); il porte par dessus sa cotte de mailles une tunique fleurdelisée, tandis que le caparaçon du cheval est brodé de fleurs de lys; le roi tient la bride articulée d'une main et de l'autre brandit une épée. La monnaie porte les inscriptions circulaires suivantes : "Jean roi des Francs par la Grâce de Dieu" (Johannes Dei Gratia Francorum Rex); cette légende "Francorum Rex" n'est pas une nouveauté dans les monnaies royales françaises. Ce qui est nouveau, par contre, c'est le nom de cette monnaie. A ce sujet, l'Ordonnance du 5 décembre précise ceci : "Nous avons été délivré à plein de prison et sommes franc et délivré". Le nom de la nouvelle monnaie fait donc référence à la récente libération du roi qui est de nouveau "franc", c'est-à-dire "libre". Le succès du nom de la nouvelle monnaie s'explique probablement par l'adéquation entre le nom du peuple français et le nom de la nouvelle monnaie. On peut noter que le Franc est rapidement baptisé, conformément aux usages de l'époque, du nom de "Franc à Cheval", qui est le symbole principal de cette nouvelle monnaie.
2. Franc d'or dit aussi "Franc à Cheval" (3,76 grammes), vente CNG 73, lot. 1139 (780 dollars). Cette monnaie est en état de conservation moyen, mais Francs d'Or en état superbe peuvent atteindre des prix beaucoup plus élevés (photo CNG).
Le Franc marque le retour à la stabilité monétaire
Physiquement, le Franc se présente comme une pièce d'or pur (24 carats) de 3,88 grammes. Il est taillé à 63 pièces dans un marc de Paris (lingot de 244,75 grammes). Le Franc a été conçu d'emblée comme une monnaie forte. A ce sujet, l'Ordonnance du 5 décembre précise ceci : "le roi est résolu à tenir et garder forte monnaie". Le modèle de la nouvelle monnaie est semble-t-il le "Noble d'or" anglais, qui était alors une monnaie forte et particulièrement réputée. Le Franc s'inspire d'une monnaie étrangère mais cette création a un but politique précis : il s'agit de restaurer l'indépendance monétaire de la France, ainsi que la stabilité monétaire particulièrement mise à mal au cours des années précédentes. On peut observer que la même Ordonnance qui créée le Franc met en place en même temps des impôts permanents (en particulier la Gabelle); ces impôts correspondent à la mise en place d'un système fiscal permanent qui permet désormais à la monarchie de se financer sans modifier perpétuellement le cours des monnaies. La création du Franc marque une inflexion majeure dans la politique monétaire française : le roi créée une monnaie stable en échange d'impôts permanents.
C'est sans doute à Nicole Oresme (1325-1382), proche conseiller de Charles V, que l'on doit ce changement important : Nicole Oresme considère en effet que la monnaie doit être "comme une loi, un ordre ferme". Sous Charles V, la France connaît une belle période de reprise et de stabilité. C'est sans doute le souvenir de cette période de récupération Nationale, qui contraste avec l'abîme qu'a connu le pays au cours des années précédente, qui a durablement imposé le Franc comme une bonne monnaie dans l'esprit du peuple français.
Bibliographie
Georges Valance, "Histoire du Franc", Flammarion, 1996
Michel Mollat du Jourdain, "Genèse médiévale de la France moderne - XIVème-XVème siècles", Arthaud, 1977
La valeur des Francs à cheval de Jean le Bon
Quelle est la valeur des Francs à cheval de Jean le Bon ?
La valeur des pièces de type Franc à cheval varient bien sûr selon l'état de convervation des pièces. De façon générale les monnaies en or du Moyen Age sont très rares et leur prix est élevé. Les "Francs à cheval" les plus abordables se vendent à partir de 1500 euro, mais le plus souvent on peut trouver des pièces à partir de 2000 euro. Les plus beaux exemplaires se vendent pour environ 3000 euro.
Autres pages sur le Franc et les monnaies royales françaises
Les monnaies d'or du Moyen Age
Les pièces de monnaie en franc du Moyen Age au Franc Germinal- Détails
- Catégorie : Monnaies du Moyen-Age
Les monnaies d'or du Moyen Age sont très nombreuses, et il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Nous présentons ici quelques unes des monnaies en or les plus connues du Moyen Age. Il s'agit d'ailleurs de monnaies du bas Moyen Age datées principalement du XIIIème au XVème siècle. En ce qui concerne l'extension géographique des pièces présentées, il s'agit surtout de monnaies de l'Occident chrétien, bien que l'on trouve des exemples de monnaies Byzantines et de l'Espagne musulmane.
La frappe de l'or n'a véritablement repris en Occident qu'après les Croisades et l'essor de la bourgeoisie marchande en Italie, au XIIème siècle. Au XIIIème siècle, toutes les grandes principautés de l'Occident ont émis des monnaies d'or.
Chaque monnaie a un ou plusieurs noms : par exemple, on parle indifféremment de "moutons d'or" ou "d'agnels d'or" pour désigner les pièces sur lesquelles est représenté l'agneau pascal. De plus les monnaies d'or ayant connu un grand succès ont été copiées dans plusieurs principautés, ce qui est le cas par exemple du Florin, monnaies d'or émises initialement dans la ville de Florence en Italie et qui a été copié dans de nombreuses seigneuries de l'Occident.
Liste des monnaies d'or présentées :
Tableau des monnaies d'or médiévales
Autres pages sur les monnaies d'or
L'or dans l'histoire des civilisations : un rôle ancien, majeur et passionné
- Détails
- Catégorie : Monnaies du Moyen-Age
Une pièce de monnaie rare du Moyen Age qui a battu un record de prix lors de la vente aux enchères de Monaco le 12 juin 2021.
Vidéo : Une rare pièce de monnaie du Moyen Age en or vendue pour 279000 euro !
Un Franc à Cheval frappée sous le règne de Charles VII et connu à seulement 3 exemplaires !
La pièce dont il est question est un Franc à Cheval frappé sous le règne du roi Charles VII le 12 septembre 1422. La pièce a été frappée à Toulouse. Elle porte le nom de Franc à Cheval car on peut voir à l’avers de de la pièce le Roi à cheval galopant à gauche, l’épée haute. C’est l’image classique du chevalier du moyen âge. C’est l’image d’un roi combattant, d’un roi guerrier.
On peut lire à l’avers, en lettres gothiques et en latin, la titulature royale, Charles Roi des français par la Grâce de Dieu.
Au revers la légende classique sur les monnaies royales françaises indique, en lettres abrégées : Christus Vincit. Christus Regnat. Christus Imperat, ce qui signifie Le Christ conquiert, le Christ règne, le Christ commande.
Une croix fleurdelisée et feuillue avec quadrilobe, tout à fait caractéristique du style médiéval, occupe le centre du revers de la pièce.
La pièce a un diamètre de 26,5 millimètres. Elle est en or pur à 24 carats et elle pèse 2,98 grammes. Elle est dans un état de conservation excellent, puisqu’elle a été gradée MS64 par la société PCGS.
Cela signifie que la pièce a peu de marques, seulement quelques coups légers. Sa frappe est dans la moyenne ou supérieure à la moyenne pour ce style de pièces. Cette pièce est en état superbe à fleur de coin.
Cette monnaie rare n’était connue jusqu’à présent que par deux exemplaires : l’un frappé à Montpellier et qui a été vendue par la Maison d’enchères allemande Künker en 2012 pour 70000 euros.
Le deuxième exemplaire est conservé au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale à Paris.
Ce franc à cheval frappé à Toulouse est donc le 2ème exemplaire connu et appartenant à une collection privée. Cette pièce est parfaitement documentée par les archives médiévales. Elle a été mise à prix par la société MDC Monaco le 12 juin 2021 pour 200000 euros. Elle a finalement été adjugée pour 225000 euro, ce qui, avec les frais porte le prix final à 279000 euro.
Il s’agit d’un record pour une monnaie française en or du Moyen Age.
Il faut dire que ces monnaies sont un des plus beaux témoignages du Moyen Age en général de la civilisation française en particulier.
Liens pour en savoir plus et pour acheter des pièces de monnaie de collection
Voir la pièce présentée dans la vidéo sur le site de MDC Monaco
- Détails
- Catégorie : Monnaies du Moyen-Age
Le Moyen Age fit, de certaines monnaies anciennes, des objets de superstition ou, parfois, des éléments décoratifs pour des chasses, des reliquaires, des vases ou d'autres ustensiles. Mais y eut-il des amateurs ou des curieux capables de recueillir les monnaies grecques et romaines pour leur beauté propre et l'intérêt de leurs types ? Il semble qu'on puisse répondre affirmativement. Quand nous voyons par exemple, dès le commencement du XIVème siècle, le pape Boniface VIII rechercher les camées et les intailles antiques et s'en former une collection, comment admettre qu'il fut indifférent aux monnaies qui souvent représentaient les mêmes types ou les mêmes effigies ? Oui, dès ce temps, on commence à comprendre l'antiquité, à en interroger les restes, à déchiffrer les inscriptions, pour leur demander compte de leur origine et de leur passé; à recueillir les médailles aussi bien que les pierres gravées, non plus seulement à titre de bijoux aptes à servir à la décoration de meubles ou de reliquaires, mais comme des produits authentiques des civilisations païennes. Nous voyons, dès 1335, un riche citoyen de Trévise, Oliviero Forza ou Forzetta, mériter le nom d'antiquaire, dans le sens moderne du mot. « Il nous a laissé lui-même, raconte M. Eugène Müntz, l'indication des objets qu'il se proposait d'acquérir à Venise : médailles et monnaies, bronzes, marbres, pierres gravées, manuscrits d'auteurs classiques, y tiennent une place telle que l'on se croirait au XVème siècle ».
Dans cette énumération se trouvent « cinquante médailles (medajae) que lui avait primises maître Simon », qui ne peuvent guère être que des médailles antiques. Toutefois, s'il y eut, en Italie, des amateurs de médailles antiques avant Pétrarque (1304-1374), il n'en est pas moins vrai que c'est à ce dernier qu'on doit faire remonter les premières études critiques sur la numismatique de l'antiquité. Pétrarque, le plus fécond des initiateurs de la Renaissance, le prince des humanistes, qu'on a défini comme « le premier homme moderne », était, par dessus tout, épris des Anciens, répudiant la science routinière de son temps pour remonter aux sources pures de la littérature classique et aux monuments de toute sorte dont les Romains avaient peuplé l'Italie et le Midi de la France. Il avait, comme son ami le tribun Rienzi, le culte des textes épigraphiques, des manuscrits et des ruines; il achetait, nous dit-il, pendant son séjour à Rome, les médailles que lui apportaient les paysans et il y déchiffrait avec émotion le nom des empereurs. « Saepe, me vineae fossor Romae adiit gemmam antiqui temporis aut aureum argenteumque nummum manu tenens, nonnunquam rigido dente ligonis attritum, sive ut emerem, sive ut insculptos eorum vultus agnoscerem ». Pétrarque forma ainsi, dans un but artistique et scientifique, une collection de monnaies antiques. Mais il ne fut pas le seul de ses contemporains à manifester ce goût, puisque nous le voyons, suivant son propre témoignage, offrir lui-même des médailles romaines en or et en argent à l'empereur Charles IV : « aliquot sibi aureus argenteosque nostrorum principum effigiers minutissimis ac veteribus litteris inscriptas, quas in deliciis habebam, dono dedi, in quibus et Augusti Caesaris vultus erat paene spirans; et ecce, inquam, Caesar, quibus successisti, ecce quis imitari studeas ».
Le déchiffrement des monnaies anciennes et la curiosité iconographiques n'étaient pas l'unique préoccupation de Pétrarque. On le voit tantôt rapprocher un passage de Suétone relatif à Vespasien des médailles de cet empereur, tantôt les médailles de Faustine mère, d'un texte de l'Histoire Auguste, et essayer de tirer de ces judicieuses comparaisons un enseignement scientifique.
Et Pétrarque n'était pas isolé en Italie : il fut seulement le chef d'une pléiade qui alla toujours grossissant. Outre Rienzi, deux autres de ses amis, Giovanni Dondi et Lombardo della Sela (mort e, 1390), furent de grands collectionneurs d'antiques et de médailles.
En France, Jean, duc de Berry (1340-1416), frère du roi Charles V, ne dédaignait point, à l'exemple des amateurs italiens, de placer quelques médailles antiques à côté des autres curiosités et objets précieux qu'il collectionnait avec tant de passion. Il semble bien qu'on doive reconnaître un aureus antique de Jules César dans la description suivante d'un joyau de ses collections :
« 195. Item, un grant denier d'or bien pesant, auquel est contrefait au vif le visaige de Julius Cesar, garni entour de IIII saphirs et VIII perles, pendant à une chainne ployant, où il y a deux perles, etc. ». N'est-ce point aussi une monnaie d'or antique que les mêmes inventaires désignent de la manière suivante : « 1108. Item, où il a uneteste enlevée ».
Les collectionneurs commencent à devenir nombreux dès la première moitié du XVème siècle. En 1430, Lionel, marquis d'Este avait une collection de médailles antiques. Niccolo Niccoli, de Florence (mort en 1437), en possédait également. En 1432, le célèbre voyageur antiquaire, Cyriaque d'Ancôme montre à Venise au frère Ambrogio Traversari une collection de médaille qui remplit ce dernier d'admiration. Dans une autre collection Vvénitienne, le frère Ambroise remarque une médaille d'Alexandre le Grand; dans le médailler de Benoît Dandolo, c'est une pièce de Bérénice qui attire particulièrement son attention. A Gênes, chez Andreolo Giustiniani, en 1430, le voyageur camaldule avait déjà remarqué une belle suite de pièces d'or antiques (« nummos aureos vetustusimos »). A Pavie, en 1442, parmi les pièces recueillies par Gianlucido (1421-1448), fils du marquis de Mantoue, il signale un tétradrachme de Thasos au type d'Héraclès debout. A Rome, le cardinal Barbo avait la plus belle galerie d'antiques qu'on eut jamais formée : c'est lui qui, plus tard, devenu pape sous le nom de Paul II, réunit le merveilleux musée du palais de Saint-Marc. Citons encore Antoine, cardinal de Saint-Marc et neveu du pape Eugène IV (1431-1417), qui possédait une grande collection de médailles antiques.
Outre Niccolo Niccoli, il y avait, à Florence, comme antiquaires et collectionneurs de médailles antiques, Ghiberti, le Pogge, et surtout le grand Côme de Médicis, qui, dès avant le milieu du XVème siècle, commença les séries qui devaient prendre bientôt un si merveilleux développement, et dans lesquelles les médailles grecques et romaines occupaient une place honorable.
A Naples, le roi Alphonse d'Aragon (1442-1458) faisait rechercher partout les monnaies grecques et romaines. Il se forma ainsi une suite considérable installée dans un beau médailler d'ivoire qui ne le quittait pas dans tous ses voyages. Il aimait à répéter que la vue de ces médailles « était pour lui un puissant aiguillon qui l'excitait à imiter les vertus de ceux dont elles représentaient l'image ».
Le roi René d'Anjou fut, à la fois, le compétiteur d'Alfonse et son émule par son goût des arts et la passion qu'il mit à rechercher les oeuvres antiques. On connaît l'inventaire de la plupart de ses « camaïeux », bijoux d'orfèvrerie, et autres objets précieux; quoi de plus naturel que de supposer qu'il eut des médailles antiques, lui qui fit exécuter ou qui exécuta peut-être lui-même de grandes médailles artistiques à l'instar de celles que modelaient les artistes italiens de son temps en s'inspirant de l'art antique.
L'empereur Maximilien Ier (1459-1519), en créant la Bibliothèque impériale de Vienne, jeta en même temps les premiers fondements du riche médailler qui continue à en faire la gloire. Mathias Corvin, roi de Hongrie (1458-1490), qui s'entourait de savants et institua l'université de Buda, faisait rechercher partout les manuscrits précieux et les médailles des anciens.
Dès maintenant, d'ailleurs, nous sommes en pleine Renaissance, et depuis longtemps déjà, de l'admiration des médailles antiques ont était passé à l'imitation technique, aussitôt que le perfectionnement des procédés matériels l'avait permis. Les monnaies à effigie impériale de Charlemagne et de quelques autres princes carolingiens et, au XIIIème siècle, les célèbres augustales de Frédéric II, prouvent que des essais dans ce sens furent faits à toute époque : mais avant le milieu du XIVème siècle, ces tentatives étaient restées isolées, sporadiques et sans influence sur le progrès général. Il en est tout autrement à partir de la fin du XIVème siècle; l'admiration pour les médailles antiques cesse alors d'être presque exclusivement platonique. En même temps que Pétrarque propose à Charles IV les empereurs romains comme modèles, il pousse les artistes dans l'imitation de la gravure des monnaies romaines et des monnaies grecques. Ce fut sous l'influence de Pétrarque que, dès la fin du XIVème siècle, Marco Sesto et Francesco Novello de Carrare, gravèrent les premières médailles modernes à l'imitation des anciens. Nous voyons d'autre part, en France, le duc de Berry acheter pour ses collections des médailles aux effigies d'Auguste, de Tibère, de Constantin, d'Héraclius, dont il nous reste des spécimens et qui sont, pour leurs types et leurs légendes, des oeuvres inspirées de pièces antiques que l'artiste du XIVème siècle a eues sous les yeux et a voulu imiter. Mais arrêtons nous à l'aurore de cet art nouveau : ce n'est pas ici le lieu de pénétrer plus avant dans ce domaine de l'histoire numismatique et de montrer que l'art monétaire a eu ses Nicolas de Pise et ses Giotto.
Extrait du "Traité des Monnaies grecques et romaines", d'Ernest Babelon
Autres pages sur la collection de pièces de monnaie
Collectionner les pièces de monnaie : un guide pour les débutants