Les artistes de la Grèce antique ont créé des monnaies extraordinaires, dont l'exceptionnel pouvoir de séduction reste intact après 25 siècles. Cependant, collectionner ces monnaies n'est pas simple : pour s'y retrouver il faut quelques connaissances historiques et géographiques. Pour commencer, nous nous proposons d'expliquer sommairement les caractères géographiques, historiques et artistiques des plus anciennes monnaies grecques, c'est-à-dire les monnaies d'Asie Mineure émises entre le VIIème et le début Vème siècle avant notre ère.

Les Grecs, qui s'appelaient eux-mêmes les Héllènes, ont peuplé les rivages et les nombreuses îles de la Méditerranée nord-orientale. La Grèce continentale est constituée par la partie inférieure de la péninsule des Balkans, dont l'extrémité sud s'arrête avec la presqu'île du Péloponnèse. A l'Est, la Mer Egée sépare la Grèce continentale des territoires grecs de l'Asie Mineure (Turquie actuelle - voir carte); à l'ouest, c'est la mer Ionienne qui sépare le Péloponnèse de la Sicile et de l'Italie du sud. C'est sur les côtes d'Asie Mineure que les premières monnaies ont été inventées, avant de se répandre dans l'ensemble du monde grec.

Les cités grecques n'ont jamais réussi à s'unir

Pour comprendre pleinement la nature des monnaies grecques, il faut avoir à l'esprit deux faits géographiques qui ont joué un rôle majeur dans l'histoire grecque. D'abord, le relief de la Grèce est très montagneux et très compartimenté. Le pays est divisé en de multiples petites unités géographiques assez isolées les unes des autres. C'est ainsi qu'une multitude de petites Cités-Etats passionnément attachées à leur indépendances ont prospéré; il y eut bien des confédérations ponctuelles de ces cités, mais il n'a jamais existé un Etat Grec unifié. Le second fait géographique majeur, c'est le rôle de la mer.
 
La Grèce compte parmi les pays les plus découpés du monde; partout, des golfes s'avancent profondément dans les terres; de très nombreuses d'îles parsèment la Mer Egée et facilitent grandement le passage entre l'Europe et l'Asie. Ainsi, les montagnes empêchaient partout une extension terrestre, alors que la mer offrait une large ouverture, économique, commerciale et culturelle. Le monnayage grec est donc constitué par l'ensemble des monnaies autonomes de ces nombreuses Cités-Etats au territoire peu étendu et éprises de liberté qui ont constitué le monde grec antique.

Les monnaies grecques antiques : 1000 ans d'histoire

Les plus anciennes monnaies grecques ont été frappées au VIIème siècle avant J.-C et les cités grecques ont continué à battre monnaie jusqu'au règne de l'empereur romain Gallien (253-268 après J.-C.) : la numismatique grecque antique s'étale donc sur un millénaire. Traditionnellement, historiens et numismates divisent l'histoire grecque en 4 périodes conventionnelles. La période archaïque s'étend des origines (700 avant J.-C.) aux guerres médiques, en 480 avant J.-C. La grande époque de l'Art monétaire couvre les Vème et les IVème siècles avant notre ère; l'époque Hellénistique s'étend du règne d'Alexandre le Grand à la conquête romaine, achevée au premier siècle avant J.-C. La dernière période est celle des monnaies Impériales grecques, c'est-à-dire des monnaies frappées par les villes grecques sous l'autorité des Empereurs romains. Comme nous l'avons dit ci-dessus, ces monnayages s'interrompent sous le règne de l'Empereur Gallien vers 260 après J.-C.

Les grecs d'Asie Mineure inventent la monnaie

C'est dans les cités grecques d'Asie Mineure, dans la Turquie actuelle, que la monnaie a été inventée au VIIème siècle avant J.-C. Dès l'antiquité, quelques auteurs se sont intéressé à l'origine de la monnaie. Parmi eux, le lexicographe Pollux, qui écrit à la fin du IIème siècle de notre ère est plein d'incertitudes : « On discute, dit-il, pour savoir si les premières monnaies ont été émises par Phidon d’Argos, ou par Démodicé de Cymé, femme du Phrygien Midas, fille d’Agamamnon, roi de Cymé, ou par les Athéniens Erichtonios ou Lycos, ou par les Lydiens, comme l’affirme Xénophane ou par les Naxiens, selon Aglaosthènes ».
 
Philochore, un athénien du IIIème siècle avant notre ère affirmait quant à lui que Thésée, le fondateur mythique d'Athènes était l'inventeur de la plus ancienne monnaie qui, précise-t-il, aurait représenté un boeuf. Cette affirmation ne montre probablement rien de plus qu'un fort chauvinisme local de la part de son auteur. En ce qui concerne Xénophane de Colophon, qui vivait au début du VIème siècle avant J.-C. il assure que les Lydiens sont les premiers à avoir frappé des monnaies; ce témoignage est confirmé par Hérodote lui-même qui écrit ceci : "A ce qu'il nous semble, les Lydiens sont les premiers des hommes qui aient fait frapper pour leur usage des monnaies d'or et d'argent". Les traditions antiques sont divergentes et contradictoires; on peut cependant retenir l'idée que la monnaie est très probablement née non loin de la Lydie.

Les créséides, monnaies de Crésus

Les traditions historiques évoquées ci-dessus attribuent les plus anciennes monnaies aux rois et dynastes de Lydie, dont la richesse était proverbiale. Certains, tels Gygès (687-652 av. J.-C.), Alyatte (610-616 av. J.-C.) et Crésus (561-546 av. J.-C.), impressionnèrent les Anciens par leurs offrandes aux principaux sanctuaires grecs de Delphes, d'Ephèse ou au temple d'Apollon Didyméen, près de Milet. Le nom du roi Crésus a même été attribué à des monnaies dès l'antiquité : Hérodote, Plutarque et Pollux parlent de "créséides" pour désigner les monnaies de ce fameux roi de Lydie; ces pièces d'or ou d'argent ont pour type les protomés affrontés d'un taureau et d'un lion; on trouve fréquemment ce type de monnaie aux alentours des ruines de Sardes.

Exemple de créséide frappée en Lydie vers le milieu du VIème siècle avant J.-C. Photo CNG


Des commerçants d'Ionie auraient inventé la monnaie

Cette attribution des plus anciennes monnaies aux dynastes de Lydie est discutée. Il est possible que les premières monnaies aient été frappées dans des villes de la côte d'Ionie, Milet, Ephèse ou Phocée, qui étaient d'ailleurs des vassales des rois de Lydie. Ces monnaies se présentent sous la forme de pastilles d'un métal constituées d'un mélange naturel d'or et d'argent que les Anciens appelaient "électrum".

Ce métal était recueilli dans les sables charriés par certains fleuves d'Asie Mineure, tels que l'Hermos ou le Pactole, qui a conservé aujourd'hui encore son caractère légendaire. On trouvait également de l'électrum dans des montagnes telles que le Tmolos ou le Sipyle, mais aussi en Thrace, au mont Pangée et dans le cours de la rivière Strymon.

Bientôt chaque cité veut sa propre monnaie

Ces monnaies d'électrum étaient épaisses, rugueuses et frappées d'un côté de carrés en creux et de l'autre côté de lignes entrecoisée. On peut véritablement qualifier ces pastilles de métal de monnaies en raison de leur poids uniforme. Ces monnaies auraient été créées par des banquiers, des marchands ou des commerçants pour des raisons pratiques, faciliter les échanges commerciaux. Cette invention géniale aurait été rapidement reprise par les puissants voisins des citées Ioniennes, les rois de Lydie, mais aussi dans le courant du VIIème et du VIème siècle, dans les plus importantes cités du monde Grec, et notamment à Egine, où sont frappées vers 670 avant J.-C. de célèbres monnaies représentant une tortue de mer. Les cités commencent alors l'émission de séries monétaires différenciées par des images d'animaux qui constituent leur emblème.

Les principaux types de monnaies archaïques de la Grèce asiatique

On peut présenter à présent les principaux types de monnaies archaïques émises dans la Grèce asiatique. Sauf de très rares exceptions, les monnaies d'électrum sont anépigraphes, ce qui signifie qu'elles ne portent pas de légende. Les types de monnaies archaïques des cités d'Asie Mineure ont comme point commun de représenter des animaux réels ou fantastiques. Ces figures constituent l'emblème de chaque ville. Ainsi les monnaies de Cyzique présentent-elles un thon ou un sanglier ailé, celles de Phocée un phoque; à Clazomènes, le bélier sert d'emblème; à Samos, c'est un taureau qui joue ce rôle; à Téos, un gryphon, à Chios un sphinx, à Ephèse, le cerf et l'abeille; à Lampsaque, le protomé de cheval ailé; à Milet, enfin, c'est un lion couché ou une tête de lion qui symbolise cette puissante cité (voir la carte cités et les photos des monnaies dans l'encadré ci-joint).

Les animaux réels et fantastiques sur les monnaies grecques archaïques

 

Statère d'Ephèse (Ionie) émis vers 625-600 av. J.-C. Tête de cerf à l'avers. Photo CNG



Drachme d'Ephèse (Ionie), frappée vers 480-415 av. J.-C. L'avers présente l'abeille, emblème caractéristique d'Ephèse. Photo CNG.


Statère de Milet au lion couché, frappé avant 575 av. J.-C. Photo CNG


Statère de Milet, milieu du VIème siècle avant J.-C. L'avers présente une tête de lion de face. Photo CNG


Obole de Clazomènes (Ionie) frappé vers 500. Tête de bélier à l'avers. Photo CNG


Chios (Ionie), didrachm frappée vers 460-440 av J.-C. A/ Sphinx assis à droite. Photo CNG


Teos (Ionie), drachme frappée vers 540-478 av. J.-C. Gryphon assis à droite. Photo CNG


Samos (Iles d'Ionie), didrachme frappée vers 520 avant J.-C. A/ Protomé de taureau R/ Tête de lion rugissant. Photo CNG


Obole de Phocée (Ionie) VIème siècle av. J.-C. A/ Tête de phoque. Photo CNG


Hecté de Cyzique (Mysie) vers 600-550 av. J.-C. L'avers présente l'image du thon, emblème de la cité. Photo CNG


Statère de Cyzique (Mysie), vers 500-475 av. J.-C. A/ Protomé de sanglier ailé. Dessous, un thon. Photo CNG

En ce qui concerne les créséides, comme nous l'avons vu ci-dessus, elles présentent le type invariable du protomé de lion et de taureau face-à-face. Pendant longtemps, seul un côté de la pièce figure une gravure d'animal, tandis que l'autre face porte une ou plusieurs marques en creux. Ces monnaies archaïques présentent souvent des gravures d'animaux parfaitement maîtrisées; cela ne doit pas surprendre : il suffit d'observer les réalisations artistiques de cette époque et songer que les artistes n'ont fait que transposer leur art sur un nouveau support, des flans de métal. On peut enfin remarquer que ces types monétaires présentent des influences orientales assez marquées; c'est le cas notamment pour ces figures d'animaux ailés, gryphon, cheval ou sphinx par exemple.

Les figures humaines apparaissent tardivement

Les figures humaines sont relativement rares et n'apparaissent qu'assez tardivement sur les monnaies archaïques d'Asie Mineure. Deux exemples de monnaies montrent assez bien le style des représentations humaines; l'une d'elle émise à Cyzique au cours de la deuxième moitié du VIème siècle avant notre ère montre une tête souriante tournée à gauche. Il s'agit à coup sûr d'une divinité : à cette date seul un autocrate tel que Darius peut prétendre faire représenter son propre portrait de son vivant sur une monnaie. On peut voir que le style de ce portrait est loin de la perfection anatomique qui sera l'usage un siècle plus tard : l'oeil est globuleux, le nez énorme, l'oreille disproportionnée ; cependant cette monnaie est loin d'être sans valeur artistique.

Cyzique (Mysie), hecté d'électrum frappé vers 550-500 av. J.-C. Photo CNG.

Le style archaïque du portrait est clairement perceptible également sur un portrait d'Héraclès figuré sur une monnaie frappée dans la ville Ionienne d'Erythrai dans la première moitié du VIème siècle avant notre ère.

Hecté d'Erythrai (Ionie) vers 600-550 av. J.-C. A/ Tête archaïque d'Héraclès. Photo CNG

Peu à peu, dans le courant du VIème siècle, les images humaines deviennent plus nombreuses et variées : les figures de la mythologie et de la religion apparaissent par exemple sur des monnaies de Phocée représentant un satyre vu de face ou encore sur des monnaies frappées à Cnide dont l'avers présente une tête de lion mugissant et le revers le portrait d'Aphrodite.

Phocée (Ionie). Hecté, vers 521-478 av. J.-C. A/ Tête de satyre de face. Photo CNG

Drachme de Cnide (Carie), vers 520-495 av. J.-C. A/ Tête d'un lion rugissant R/ Tête archaïque d'Aphrodite. Photo CNG

C'est également vers 550-500 avant notre ère que les premières légendes apparaissent et se généralisent. Ainsi des monnaies Ténédos, dans les Iles de Troade représentent une tête Janiforme à l'avers et une hache bipenne entourée de quatre lettres qui sont le nom abrégé de la cité.

Didrachme de Tenedos (Iles de Troade), vers 550-470 av. J.-C. A/ Tête Janiforme, masculine à gauche, féminine à droite R/ Hache bipenne et nom abrégé de la cité. Photo CNG

Monnaies archaïques des rivages de Chypre au Pont-Euxin

Pour finir ce tour d'horizon des monnaies archaïques d'Asie Mineure, il faut citer ces statères frappés dans l'île de Calimna sur lesquels est gravée une tête de héro barbu presque complètement cachée par son casque à nasal. Plus au sud, sur l'île de Rhodes, les cités de Camiros, Ialysos et Lindos font représenter sur leurs monnaies une feuille de figuier (Camiros), le protomé de sanglier ailé (Ialysos) et la tête de lion rugissant (Lindos).

Camiros (Rhodes), statère, vers 500-480 av. J.-C. A/ Feuille de figuier. Photo CNG



Lindos (Rhodes), statère, vers 515-475 av. J.-C. BC. A/ Tête de lion rugissant. Photo CNG

La Lycie possède également de nombreux ypes archaïques frappés par les dynastes locaux. Sur ces monnaies on peut voir des images d'animaux, têtes de taureau u de coq, des sangliers ailés ou non, mais aussi des tryskèles (symbole constitué de trois branches qui prennent parfois la forme de jambes).

Dynastes incertains de Lycie, statère frappé vers 500-460 av. J.-C. A/ Pégase volant R/ Triskèle. Photo CNG

Les marins de la cité de Phasélis inventent quant à eux un navire dont la proue ressemble à un groin de sanglier et le font représenter sur leurs monnaies dès le milieu du VIème siècle.

Phasélis, statère frappé vers 530 av. J.-C. A/ Proue de galère en forme de groin de sanglier. Phpto CNG

Dans la Pamphylie voisine, vers 500 avant J.-C., les cités d'Aspendos, de Selgé et de Sidé émettent leurs premières monnaies sur lesquelles sont représentés un hoplite, une triskèle à jambes humaines, une tête de gorgone ou encore une grenade qui symbolise la ville de Sidé. Dans la région de Cilicie, des villes telles que Célendéris et Mallos ont leur monnayage avant 480 avant J.-C., qui subit assez nettement des influences orientales. C'est également le cas de Chypre qui constitue un carrefour de civilisations; les monnaies des dynastes et des cités chypriotes sont assez précoces et variées. Elles présentent des influences phéniciennes, égyptiennes et orientales. On peut citer les types au bélier couché frappés à Salamine, mais aussi des types à la tête de lion qui rappellent les monnaies de Milet ou de Cnide; on trouve également à Chypre des monnaies figurant des taureaux ou des sphinx qui semblent directement imitées des pièces de Samos, Chios et Lesbos.

Au contraire des côtes méditerranéennes du sud de l'Asie Mineures, où le monnayage est précoce et varié, les cités grecques du Pont-Euxin, pourtant nombreuses, n'ont frappé des monnaies qu'assez tardivement. Seules deux cités font exception : il s'agit de Sinope et de Panticapée. Sinope choisit comme symbole une tête d'aigle pêcheur; Panticapée choisit quand à elle l'image de la tête de lion vue de face, probablement pour rappeler qu'elle fut fondée par Milet.

Sinope (Paphlagonie), drachme frappée en 425-410 av. JC. A/ Tête d'aigle tournée à droite. Photo CNG

Après avoir présenté ce panorama rapide des plus anciennes monnaies grecques d'Asie Mineure, le prochain exposé concernera les monnaies archaïques de la Grèce centrale et occidentale.


Bibliographie : J. Babelon, "La numismatique Antique", Collection Que Sais-Je, 1944

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