Le champ de la numismatique grecque et romaine est immense sur un plan chronologique et géographique. Immense aussi le nombre des matérieux dont elle dispose; infinie, la variété des produits qu'elle cultive sur cette vaste étendue. La comparaison qu'on pourrait être tenté détablir, à ce point de vue, entre le monnayage moderne et celui des anciens, manquerait tout à fait de justesse. Nos monnaies contemporaines sont fixées pour une longue période d'années dans des types de convention qui ne changent guère; les mêmes emblèmes et les mêmes légendes se perpétuent aussi longtemps que dure un système monétaire ou un régime politique : on modifie seulement le millésime et les « différents », tels que les lettres ou les symboles de graveurs et d'entrepreneurs ou marques d'émissions. Tout autres étaient les usages de l'antiquité qui, presque partout, a fait de sa monnaie, non seulement un instrument pour les échanges, mais en même temps une, une médaille commémorative. De là, dans les coins monétaires, une prodigieuse variété de types qui s'accroît encore par la multiplicité des ateliers et par l'imperfection matérielle de l'outillage qui ne permettait pas de frapper un grand nombre de pièces avec les mêmes matrices.
Pour le monde grec seulement, nous connaissons cinq à six cents rois ou dynastes, et près de quatorze cents villes qui ont frappé monnaie dans ces conditions d'inépuisable fécondité et de renouvellement continu; et les produits d'un grand nombre de ces ateliers s'échelonnent depuis le VIIème siècle avant notre ère jusqu'au IIIème siècle après Jésus-Christ.
A Rome la diversité des types monétaires est non moins grande et non moins instructive. Des milliers de symbolees différents ont été relevés sur les deniers que le triumvir monétaire L. Calpurnius Piso fit frapper dans une seule année, en 89 avant notre ère, et ses deux collègues dans les mêmes conditions n'ont pas fait graver un moins grand nombre de coins. Il fallait la coopération d'une véritable armée d'ouvriers pour monnayer les espèces nécessaires à la circulation générale; à tel point qu'un jour (en 274), sous le règne d'Aurelien, une rebéllion, fomentée par le « rationalis » Felicissimus, ayant éclaté dans la Monnaie de Rome, les monétaires s'y trouvaient si nombreux que la répression du désordre coûta la vie à 7000 soldats.
Pour Auguste, on a environ 550 revers monétaires, abstraction faire des variétés; pour Néron, il en existe à peuu près 300; pour Vespasien, 520; pour Marc Aurèle, 850. Le règne d'Hadrien ne compte pas moins de 2500 types, qui se répartissent sur 1600 pièces latines et 900 pièces grecques.
Eckhel évaluait approximativement à 70000 le nombre des types importants des monnaies anciennes connus à son époque. Cette estimation est imcomplète. Et encore, il ne faut pas y faire entrer les variétés de coins, ni celles d'ateliers, ni les petits symboles, lettres ou monogrammes qui comportent pourtant leur enseignement. Que si l'on voulait supputer ces différences secondaires, on atteindrait à un chiffre fantastique, difficilement apprécible. Au XVI° siècle, un amateur passionné, Wolfgang Lazius, de Vienne, annonça la publication d'un recueil qui devrait comprendre la description de 700000 variétés. Les tentatives faites au XIXème siècle par de patients et laborieux collectionneurs, sur la numismatique de quelques règnes d'empereurs romains sont non moins éloquentes. Etienne Récamier rassembla, en vue d'une grande publication qui n'aboutit pas, environ soixante quinze mille variétés des monnaies frappées par les empereurs qui ont régné dans les Gaules au IIIème siècle. Missong a légué au Mudée de Vienne (Autriche) une suite de 13000 variétés de Probus qui pourtant ne régna que six ans. Théodore Rhode a consacré toute sa carrière à recueillir et à classer par ateliers les séries indéfinies des monnaies d'Aurelien, de sa femme Séverine et des Princes de Palmyre.
Il suffit de parcourir les nombreux travaux consacrés, dans les vingt dernières années du XIXème siècle aux marques d'ateliers et d'émissions de certaines séries monétaires de l'empire romain pour qu'on soit d'une part émerveillé du parti historique qu'on peut tirer de ces variétés secondaires, et d'autre part, véritablement stupéfait de leur incroyable abondance.